Une présence historique marquante
La Russie, héritière de l’URSS, a longtemps été un acteur incontournable du Salon du Bourget. Sa première participation remonte à 1936, avec l’Union soviétique, mais c’est surtout à partir des années 2000 que sa présence était devenue plus régulière et stratégique. Les géants russes comme Sukhoï, MiG ou encore Rostec occupaient des pavillons entiers, tant pour montrer leurs capacités militaires que pour séduire le public. En 2013, la Russie avait aligné plus de 40 entreprises sur le salon, une participation record.
Mais l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a marqué un véritable point de rupture dans la présence russe au Salon du Bourget. Si les années précédentes avaient encore vu une participation active et visible des industriels russes, la montée des tensions diplomatiques avec l’Occident ont progressivement relégué la Russie au second plan du salon.
En 2023, dans un contexte alourdi par l’invasion de l’Ukraine, la Russie avait déjà été totalement absente du salon.
Une rupture diplomatique désormais actée
Le Salon du Bourget n’a jamais été qu’un événement industriel ; c’est aussi une vitrine géopolitique. Les absences y sont parfois plus révélatrices que les présences. Celle de la Russie en 2025, prolongement de 2023, marque une coupure nette entre les Russes et les industriels de l’aéronautique en Occident.
Historiquement, même en période de tensions, la Russie avait toujours maintenu un lien, un canal, ne serait-ce que symbolique. Ce n’est désormais plus le cas. Le message est clair : les échanges sont figés, et il n’y a plus de coopération entre la Russie et les pays occidentaux dans le domaine industriel ou technologique. Cela ferme la porte à de possibles co-développements, transferts de technologies ou partenariats de soutien mutuel dans l’aéronautique civile ou militaire.
Quelles conséquences commerciales pour les industriels… et leurs partenaires ?
Un concurrent en moins, mais des marchés à rebâtir : pour les avionneurs et équipementiers européens, l’absence de la Russie peut sembler avantageuse : un concurrent en moins sur certains marchés comme l’Afrique, l’Asie centrale ou l’Amérique du Sud.
Mais cette disparition bouleverse aussi les équilibres. De nombreux clients habituels de la Russie doivent dorénavant se tourner vers d’autres marchés (chinois ou turcs) plus souples sur le plan diplomatique.
Dans ce nouveau paysage, les industriels européens doivent se réorganiser et réorienter leur stratégie commerciale. Lancée en janvier 2025, la « Team France Aéronautique et Spatiale », pilotée par Business France, a pour but de définir une stratégie d’exportation, promouvoir l’offre française à l’international et la filière française, des start-ups aux grands groupes, en passant par les PME et ETI.
Cette initiative est le fruit d’une coordination des principaux acteurs de l’écosystème : le GIFAS, Aerospace Valley, Alliance NewSpace France, ASTech, le CNES, le Pôle Safe et bien sûr Business France. Ensemble, ils ciblent chaque année une dizaine de pays dits « prioritaires » parmi lesquels, pour 2025/2026, figurent l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud, les Émirats Arabes Unis, l’Espagne, les États-Unis, l’Inde, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni.
Ce redéploiement international peut compenser, en partie, la perte d’accès au marché russe, tout en permettant de réaffirmer la présence française dans des zones en forte croissance.
Les sous-traitants et PME en première ligne
Au-delà des géants du secteur, ce sont les PME, bureaux d’études, fournisseurs de pièces détachées ou de logiciels de maintenance qui ont subi directement l’impact de la rupture. Certaines d’entre elles collaboraient historiquement avec des clients russes, que ce soit pour des programmes civils, de la fourniture de pièces ou pour de l’assistance technique sur des plateformes partagées (hélicoptères, moteurs…).
Depuis le renforcement des sanctions en 2022, ces échanges se sont arrêtés. Contrats gelés, factures impayées, matériel bloqué en douane : les conséquences sont parfois brutales et économiquement lourdes. De nombreux prestataires ont dû se redéployer dans d’autres zones géographiques ou adapter leur offre pour compenser la perte d’un client stratégique.
Plus délicat encore : certaines sociétés françaises ou européennes étaient impliquées dans des projets conjoints de R&D avec des instituts russes avant 2014 ou 2022. Ces projets, souvent prometteurs sur le plan technologique, ont été stoppés net, laissant des investissements sans retour. C’est le cas par exemple de Safran, qui, avant 2014, avait établi des coopérations techniques avec UEC, un conglomérat russe de motoristes. Depuis l’annexion de la Crimée, puis surtout après 2022, ces projets ont été suspendus ou reconfigurés, et Safran a totalement cessé toute livraison et support technique vers la Russie.
Un impact militaire au-delà du Bourget
L’absence russe a également des implications militaires. Elle prive les forces russes et leurs partenaires d’une tribune essentielle pour observer, comprendre et parfois anticiper les innovations occidentales.
À l’inverse, les industriels européens et américains n’ont plus accès de première main aux évolutions récentes de l’aviation russe. Le Bourget sert aussi à cela : observer ce que le concurrent montre volontairement… ou par erreur.
Pour les acheteurs militaires des pays neutres, le choix est plus simple, mais plus radical : acheter russe, c’est s’éloigner de l’Occident. Cette polarisation du marché est l’un des effets collatéraux les plus marquants de cette absence russe prolongée.
Le Salon du Bourget sans la Russie : une nouvelle norme ?
La Russie reviendrait-elle un jour au Bourget ? La question reste ouverte, mais elle semble de plus en plus rhétorique. Le climat international, les sanctions, la pression diplomatique rendent ce retour quasiment improbable à court terme.
Alors que la Russie s’éloigne, le Salon du Bourget a illustré cette année de plus en plus la division du secteur aéronautique mondial. D’un côté, l’Ouest et ses alliés renforce leur présence ; de l’autre, la Chine et quelques acteurs émergents occupent les espaces désertés. Ce qui avait été autrefois une grande plateforme internationale devient peu à peu un rendez-vous polarisé, marqué par des blocs bien distincts.

Auteur de l’article
Jolan Robineau–Fauvey
Journaliste (Ecole W) stagiaire chez Immer’Com Consulting







